Meriem Amellal-Lalmas : « L’enrichissement mutuel des trois cultures donne à France 24 une vraie identité »

Meriem Amellal-Lalmas sur le plateau d'Express Orient
Meriem Amellal-Lalmas sur le plateau d’Express Orient

Journaliste sur France 24 depuis presque 10 ans, Meriem Amellal-Lalmas est passée par tous les postes ou presque au sein de la chaîne. Nous la retrouvons actuellement à la présentation d’ « Express Orient », le magazine hebdomadaire qui fait un focus sur l’actualité du Moyen-Orient. Entretien.

Meriem, faisons d’abord connaissance, quel a été votre parcours ?

Je suis née à Alger où j’ai grandi et réalisé une partie de mes études, en arabe, à l’école publique algérienne. En janvier 1995, à cause du terrorisme qui sévissait, j’ai rejoint la France pour y commencer une nouvelle vie. J’ai repris ma scolarité dans mon pays d’adoption, obtenu mon Bac au lycée Fernand Darchicourt d’Hénin-Beaumont, ville qui est devenue tristement célèbre… Je me suis orientée vers des études d’anglais à l’université Charles de Gaulle Liile 3. J’ai obtenu une maîtrise d’anglais en 2001. Je m’intéressais alors beaucoup à l’Irlande du Nord et son conflit entre catholiques et protestants. Mais un événement, les attentats du 11 septembre 2001, a tout bouleversé. Comme lors de mes vacances universitaires, j’effectuais des stages en presse écrite en Algérie, au sein d’Al-Watan, Liberté, Jeune Indépendant, j’avais cette fibre journalistique. Et là j’ai compris qu’il fallait que je suive cette voie. Alors, j’ai passé et réussi le concours de l’ESJ Lille.

D’expériences en presse écrite, vous êtes passée à la télévision. Comment ce média s’est il imposé à vous ?

Quand j’ai intégré l’ESJ, je n’avais pas en tête de faire de la télé. La presse écrite était plus logique. Mais j’ai découvert la télé et aussi la radio. Et j’ai beaucoup aimé la télévision pour la force de l’image. Les attentats du 11 septembre en sont aujourd’hui encore un bon exemple. Certes il y a eu des gens comme mon prof de l’époque Philippe Boiserie (France 2) qui m’a beaucoup encouragé dans cette voie. Je le remercie d’ailleurs de m’avoir poussé à faire de la télévision plutôt qu’un autre média. Une fois diplômée de l’ESJ Lille, j’ai tout de suite trouvé du travail à i>TÉLÉ. J’ai commencé par m’occuper du ticker [ndlr : le bandeau déroulant] avant de travailler sur la « Matinale Week-end » d’Aymeric Caron.

Comment avez vous rejoint France 24 ?

J’ai passé un an et demi à i>TÉLÉ sans y trouver un réel épanouissement. Puis, un événement tragique m’a incité à aller vers de nouveaux horizons. Une amie, journaliste irakienne, a été torturée et tuée en 2006 à Samara en Irak. Cela a été un déclencheur. J’ai voulu traiter d’informations internationales. Il se trouvait alors que France 24 se créé. Mon profil très international était une bonne carte à jouer : je parle anglais, arabe, j’ai fait un peu d’hébreu et de persan, expérience en presse écrite en Algérie, j’avais aussi fait un stage à Al-Jazeera… J’ai postulé, et depuis je suis toujours à France 24 ! J’y ai fait plein de choses, de la revue de presse internationale à la chronique « Un monde qui bouge », les JT de nuit, le desk |ndlr : sujets pour les journaux]. Et pendant les toutes premières années de la chaine, j’ai travaillé pour l’antenne arabophone, lorsqu’il n’y avait que 4h de programmes et que France 24 peinait à recruter des journalistes arabophones. Aujourd’hui, je présente le magazine « Express Orient »

Meriem Amellal-Lalmas sur le plateau d'Express Orient
Lancement de sujet en plateau

Justement de quoi est il question dans « Express Orient » ?

Cela fait presque 6 ans que je présente cette émission qui s’appelait auparavant « Une semaine au Moyen-Orient ». La formule a quelque peu évolué pour donner « Express Orient » mais elle reste consacrée à l’actualité du Moyen-Orient. Comme c’est un magazine hebdomadaire, la difficulté est de traiter d’actualité sans être trop dans le rythme de l’actu, les choses pouvant très vite évoluer en une semaine. Il s’agit d’approfondir les sujets, ceux que ne peuvent faire les JT. Nous nous appuyons sur notre réseau de correspondants à Beyrouth, Aman, Jérusalem, Bagdad…pour alimenter le magazine. Nous récupérons également des sujets du réseau de l’antenne arabophone que l’on traduit. Et nous diffusons aussi des sujets réalisés par nos équipes de reporters comme dernièrement ce fut le cas avec un super reportage de Roméo Langlois et Maïssa Awad. Ainsi nous creusons un peu plus ce qui fait l’actualité. Un autre exemple a été la diffusion d’un portrait de Moqtada Sadr, un chef de l’opposition irakienne.

Quand on regarde l’actualité du Moyen-Orient, il n’y a guère que l’ouverture de l’Iran qui apporte un peu de positif…

Oui en effet… Nous avins une correspondante en Iran, Mariam Pirzadeh, qui est passée par France 24. Il n’est pas facile de tourner en Iran en général. Le fait qu’elle soit d’origine iranienne facilite un peu les choses. Elle nous a ainsi livré un bon reportage sur la sécheresse qui sévit dans le pays. C’est une chance d’avoir des sujets réalisés sur place et de pouvoir parler de ce pays, de sa population, qui sont bien loin de l’image qu’on ont donné les médias. Après, malheureusement l’actualité du Moyen-Orient est dominée par les conflits, les attentats. Si vous regardez sur le site de France 24, la liste des replays d’ « Express Orient », je pense que depuis juin 2014, il n’y a pas eu une émission dans laquelle nous n’avons pas parlé de l’organisation « État islamique » ! J’aimerais qu’il en soit autrement mais c’est ce qui fait l’actualité. On ne peut pas ne pas parler du génocide des Yazidis… La présence de ce groupe terroriste a changé la donne dans la région. Du Yémen, à l’Irak, à la Jordanie, la Turquie, la question kurde… Il y a un avant et un après la guerre en Syrie. Personnellement, avec cette guerre, j’ai une espèce de fatigue à voir toutes ces images atroces, pas forcément celles des morts victimes de bombardements, mais plus sur le sort des vivants. C’est très difficile. Il m’est arrivé d’avoir des larmes en regardant les sujets pour « Express Orient ». Par exemple, quand on voit qu’au Liban, dans les camps de réfugiés, il n’ont même pas de cimetière pour enterrer leurs morts.

« La photocopieuse est le lieu où l’on voit toutes les cultures de France 24 s’exprimer »

Cela fait presque 10 ans que vous travaillez à France 24. Le caractère international et multi-culturel de la chaîne doit être enrichissant au quotidien ?

J’aurais du mal à travailler ailleurs par rapport à cet échange. Il y a déjà une bonne ambiance parmi les journalistes. L’aspect trilingue français, anglais, arabe…et même polyglotte, car quand on parle une des langues de la chaîne, on ne se sent pas particulier (rires). Du coup, quand on a besoin de traduction, on envoie aux collègues, c’est le côté pratique. Et puis, il y a le côté culturel. Avec les familles des collègues sur place, nous avons le ressenti de la vie quotidienne dans tel ou tel pays. Et souvent il y a beaucoup d’humour notamment au desk arabophone. J’aime beaucoup le côté anglo aussi. Mais la photocopieuse est le lieu où l’on voit toutes les cultures de France 24 s’exprimer. Si elle tombe en panne, les anglophones vont appeler la technique avec leur flegme tout britannique. Les francophones vont râler pendant 2h. Et les arabophones vont s’adresser à la photocopieuse avec autorité et la sommer de refonctionner en ouvrant le capôt pour tenter de la réparer… France 24, c’est la photocopieuse ! (rires) Ce mélange de culture s’exprime aussi par la direction. Marc Saikali, directeur depuis quelques années, est d’origine libanaise, il a travaillé à France 3, à Medi-1-sat, il connaît le maghreb, la machrek, la France… Ainsi à la rédaction, il y a de vrais débats : doit on montrer les enfants syriens alors qu’on les floutent en France ? Et il est toujours là pour trancher, parfois même c’est lui qui lance les débats.

Avec la profusion de chaînes infos (BFMTV, i>TELE, LCI, bientôt celle de France Télévisions). Comment voyez vous le positionnement de France 24 à l’avenir ?

D’abord, France 24 n’a pas de concurrent direct en France. La chaîne va évoluer mais en gardant son identité. Nous regardons ce que font les autres mais sans les copier. Et la grande différence est que nous prenons le temps de la réflexion avant de donner une info. Nous ne cherchons pas le scoop. Nous prenons le temps d’analyser, en prenant du recul. Et je crois qu’il est en train de se créer une « école France 24 ». Le contact des cultures et la façon de fonctionner des anglo-saxons, très différente du système journalistique français, sont en train de créer quelque chose. L’enrichissement mutuel des trois cultures donne à France 24 une vraie identité.

« Je rêverais de créer une école de journalisme francophone en Algérie, du nom de mon oncle Noureddine Naït Mazi »

Quels sont vos projets ?

Je rêverais de créer une école de journalisme francophone en Algérie, du nom de mon oncle Noureddine Naït Mazi, décédé il y a à peine un mois. Il a été pendant vingt ans le directeur du journal El Moudjahid qui était la voix des non-alignés. Il était le dernier journaliste à avoir écrit avant et après l’indépendance.Il a formé beaucoup de journalistes algériens. Je le vois beaucoup avec les hommages qui lui ont été rendus. Alors pourquoi pas créer une école « Noureddine Naït Mazi » avec sa devise « J’ai horreur de l’à peu près » ça l’aurait bien fait rire ! (rires) Après un tel projet ne peut se faire sans les autorités algériennes, et de conséquents moyens financiers. Je ne sais pas si cela se fera, peut être que quelqu’un d’autre s’en chargera.

Le mot de la fin  ?

Pour continuer, au sujet de mon oncle, c’était un grand journaliste, mais d’une époque bien différente d’aujourd’hui. Son journal El Moujahid était le journal unique, du parti unique, le FLN. La liberté d’expression était tout relative. Mais il était convaincu qu’il fallait donner la voix du parti pour le bien du pays. De nos jours, le plus grand risque de censure ou de manipulation de l’information ne vient pas de l’état ou de lobby financier ou industriel, mais de nous-mêmes journalistes lorsqu’on s’engage dans une course à l’info. A vouloir toujours allez plus vite pour relayer ou diffuser une information, on arrive à ne plus vérifier l’exactitude des faits, des sources, des images… Les sources d’informations de tous types sont très nombreuses avec l’essor des réseaux sociaux. On peut céder à la facilité ainsi, ou ne faire que du factuel en relayant les dépêches d’agences…pas toujours infaillibles non plus. A France 24, heureusement nous ne sommes pas dans la course au scoop. On prend le temps d’attendre de vérifier plutôt que donner une mauvaise information. Il faut aussi dire que nous avons une certaine responsabilité. La chaîne est très suivie en Afrique, et lors des conflits inter-religieux en Centrafrique, nous prenions le temps de réfléchir à comment annoncer telle ou telle information, sachant qu’elle pourrait avoir des répercutions immédiates et dramatiques.

Merci beaucoup Meriem !

 

par Damien D.

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