N’Fanteh Minteh : « La place de l’Afrique va changer dans les JTs »

Journaliste sur TV5Monde, N’Fanteh Minteh présente le Journal Afrique de la chaîne internationale depuis un an. Un challenge réussi pour la jeune femme de 27 ans qui a eu la vocation grâce au travail d’une association « Reporter citoyen ». A l’heure où l’Afrique devient incontournable, rencontre avec celle qui en délivre l’actualité chaque semaine.

N’Fanteh, quel a été votre parcours jusqu’à maintenant ?

J’ai un parcours scolaire assez classique. Le Bac puis une licence d’économie et administration des entreprises, et un master 1 en contrôle de gestion dont j’ai fini par me détourner. En parallèle, je suivais une formation de  l’association « Reporter citoyen ». Il s’agissait d’une formation gratuite sur trois ans, destinée aux jeunes issus des quartiers populaires. C’est là que j’ai eu le déclic pour le journalisme. Ensuite, j’ai tenté les concours pour rentrer dans les écoles de journalisme. Et je ne les ai pas eu par la voie classique, mais je les ai réussis pour un apprentissage à l’ESJ Pro de Montpellier. Je voulais absolument faire de l’apprentissage pour ne pas encore à user les bancs de la fac et être sur le terrain. J’ai ainsi partagé mon temps entre l’école à Montpellier et à  France 3 Bretagne pour l’apprendre le métier. Après mes études, France 3 Bretagne m’a embauchée comme pigiste, et par un concours de circonstance, je me suis retrouvée à présenter les JTs du week-end. En 2017, TV5Monde m’a débauchée pour présenter le Journal Afrique.

Longtemps, j’ai été complexée parce que je n’avais pas fait les grandes études de lettres, khâgne, hypokhâgne…et que j’avais un parcours disons « scolaire ». Mais, avec le temps, je me suis rendue compte qu’avec mes origines, le fait d’avoir grandi en banlieue, que je sois d’un milieu modeste, mon père éboueur et ma mère « technicienne de surface » comme on dit… ça me donnait un bagage inestimable. Il y a quelques années, je voyais ça comme un handicap, alors qu’en fait c’est une force, parce que notre vécu construit notre regard de journaliste.

Revenons sur « Reporter citoyen », l’association qui vous a donné le déclic pour le journalisme…

« Reporter citoyen » est au départ une initiative personnelle qui s’est transformée en un vrai projet collectif ! L’association a été fondée par Philippe Merlant, venant de la presse écrite, et John-Paul Lepers, venant de la télévision, tous deux bien à l’image des médias « Hommes blancs de plus de 50  ans ». Et ils se sont interrogés sur le fait que dans le métier, il n’y avait que des gens d’un milieu plutôt aisé et peu de diversité sociale. Il était temps d’agir après le traitement médiatique des banlieues après les révoltes de 2005. Dans 3 villes d’Ile de France, ils ont décidé d’apprendre aux jeunes les bases du métier. Et pour une fois c’était quelque chose d’efficace et de rapide comparé aux politiques publiques qui mettent plus de 10 ans avant de montrer des résultats. Aujourd’hui, « Reporter citoyen » comme « La télé libre », une initiative de John-Paul, sont en danger faute de subventions. Et quand on voit les résultats, il y a de quoi se poser des questions quant à savoir pourquoi elles ne sont pas soutenues. L’éducation aux médias est devenue une priorité pourtant.

Depuis août 2017, vous êtes à la tête du Journal Afrique sur TV5Monde. Après une saison « baptême du feu » pour vous sur une chaîne internationale, quel bilan en dressez-vous ?

Nous pouvons être fier que ce que nous avons fait ! Le Journal Afrique fait aujourd’hui 26 minutes.et nous faisons à la fois de l’actu mais nous prenons le temps d’apporter un éclairage pédagogique sur un sujet. Nous recevons des invités qui sont très souvent des références dans leur matière. Du côté de l’actualité africaine, nous avons réussi à sortir des maux qui collent souvent à l’actu du continent africain sur les guerres, les violences etc en évitant la « massification des faits » qui réduit d’autant leur importance, 300 morts par ci, 25 par là… Nous avons pris le parti de donner un angle plus humain en racontant des histoires, par exemple celle d’une famille par lors des inondations en Sierra Leone. Cela réduit la distance que peuvent avoir les téléspectateurs par rapport à un fait qui se déroule loin d’eux.

« Notre valeur ajoutée dans le Journal Afrique est de raconter une histoire singulière qui raconte la grande histoire »

Nous sommes aussi très présents sur les réseaux sociaux et c’est très important pour nous car cela nous donne un retour téléspectateurs très intéressant même si parfois il y a de tout. Cela nous permet de diffuser une information libre, ce que n’ont pas toujours les téléspectateurs africains avec leurs médias d’Etat. C’est un luxe de pouvoir faire ça en étant ici à Paris, et en face les téléspectateurs sont aussi exigeants et nous reprennent quand nous faisons des erreurs. Nous sentons leur attente et leur vitalité, c’est vraiment très stimulant !

Le Journal Afrique vient de faire sa rentrée, et après les élections au Mali, la suite s’annonce encore très politique entre les présidentielles au Cameroun, ou au Sénégal… Comment s’augure cette nouvelle saison ?

En effet, nous sommes dans une actualité politique assez dense, et assez tendue, il faut quand même le dire. Nous essayons donc d’être dans l’actu chaude, mais aussi de prendre le temps d’expliquer. Par exemple, à propos du Sénégal, nous sommes sortis des petites phrases des candidats, avec deux journalistes en plateau nous avons élargi le débat. La question était de savoir si le Sénégal érigé comme modèle démocratique l’était encore ou non. Ces débats permettent de prendre du recul sur l’actualité et de mieux comprendre les enjeux et problématiques.

Votre JT fait plus d’audience que le JT de France 2 ou celui de TF1… L’Afrique reste pourtant encore parent pauvre des JTs de ces chaînes…

La différence est assez logique TV5Monde s’adresse à tout un continent, quand les JTs de TF1 et France 2 sont nationaux. Il est vrai que sur ces antennes une actu de « 300 morts dans tel pays africain » fait juste quelques secondes, or si cela avait lieu en Europe, le traitement serait plus musclée. C’est toujours assez choquant mais je trouve que c’est en train de changer.

« L’Afrique devient incontournable, on ne peut déjà pas faire sans elle aujourd’hui, on ne pourra encore moins faire sans elle à l’avenir »

Les rédactions, comme l’AFP réfléchissent à de meilleures traitements. Les gens se rendent bien compte que l’Afrique devient un enjeu quand on voit les différentes visites du président Emmanuel Macron sur le continent. L’Afrique devient incontournable, on ne peut déjà pas faire sans elle aujourd’hui, on ne pourra encore moins faire sans elle dans l’avenir. Donc la place de l’Afrique va changer dans les JTs et au delà de ça, il faut que l’Afrique prenne sa place et elle le fera ! Parce qu’il y a une jeune génération qui a digéré la colonisation et a conscience qu’elle peut changer les choses. Un exemple frappant est l’échange du président Macron avec les jeunes à Ouagadougou. Du côté des médias français, ils ont retenu le parler direct du président, alors que nous du côté du Journal Afrique, nous avions estimé que les étudiants burkinabés n’avaient pas peur de poser des questions directes au président français et d’aller « gentiment » à la confrontation. Ils ont changé leur rapport à la France. Notre analyse était différente dans notre journal. L’Afrique est un continent avec toutes ses spécificités, il faut sortir du regard occidental..

Changeons d’échelle et de temporalité, et parlons d’une région chère à votre interlocuteur, la Bretagne. Comme vous avez débuté dans le métier sur France 3 Bretagne, que retenez-vous de cette expérience ?

Pour moi, le fil rouge entre la Bretagne et le continent africain, c’est l’identité. La Bretagne a une identité forte, le continent africain est constitué de multiples identités. C’est à France 3 que j’ai tout appris, j’y ai fait mes premiers reportages. C’est une région dynamique où j’ai pu traiter d’actu sociale, culturelle… Après il faut le dire, c’est très bien d’être sur des grandes chaînes, mais ce sont sur des chaînes régionales qu’on apprend le métier car il faut être multi-tâches. Un matin j’étais JRI, le lendemain j’étais rédactrice, le jour d’après j’étais au web et j’ai réussi à faire de la présentation. Quand on débute comme moi à l’époque c’est un luxe de pouvoir faire tout cela.

Et maintenant, la question…coiffure. Sur France 3 Bretagne vous étiez plutôt cheveux lissés (sauf sur la dernière année), tandis que sur TV5Monde, vous êtes plutôt tresses ou coupe afro. Est-ce à dire qu’il y a une portée ethnique de la coiffure qu’il est bon on non d’arborer selon le média sur lequel on travaille ?

Personne ne m’a dit comment je devais être coiffée que ce soit à France 3 Bretagne ou à TV5Monde. J’aime bien varier les coiffures. Mais je me suis moi même posé la question et c’est là qu’il y a un problème, une auto-censure. « Et si je mets une coiffure afro ça va passer ? » A France 3 Bretagne, un jour j’ai décidé de sauter le pas, présenter avec mes cheveux naturels. J’y suis allée avec ma coupe afro et j’étais curieuse de voir comment ça allait passer… et c’est passé sans problème ! Le fait de me poser la question est assez symptomatique d’un diktat du cheveu lisse à l’antenne. Pour ce qui est du Journal Afrique de TV5Monde, mes coiffures font débat auprès des téléspectateurs ! Sur les réseaux sociaux, certains sont ravis de voir des cheveux naturels quand d’autres disent que je ne suis pas coiffée…

Une réaction à la vidéo de la présentatrice météo belge Cécile Djunga qui a dénoncé les messages racistes dont elle a été la cible ?

Je la soutiens à 100 % ! En étant exposés, on subit régulièrement ce genre de messages racistes et nauséabonds. Son coup de gueule est courageux et juste. On doit lutter contre la libération de la parole raciste, les gens n’ont plus peur de tenir de tels propos, il faut justement que la peur change de camp. Ces gens doivent répondre de leurs actes car c’est puni par la loi. C’est un délit.

Pour terminer sur une note positive, vu votre parcours, quels conseils donneriez vous aux jeunes qui veulent devenir journalistes ?

Le bagage que vous avez est une force ! Il faut apprendre à oser. Le métier de journaliste n’est pas facile, on prend des coups mais c’est un métier passionnant. Il faut tenter les filières alternatives, et saisir les rencontres qui se présentent !

Retrouvez N’Fanteh Minteh du lundi au jeudi à 20h30 TU sur TV5Monde et sur Facebook.

Jërë jef N’Fanteh et kenavo !

par Damien D.