Correspondant pour BFMTV aux États-Unis depuis 2016, Cédric Faiche a terminé son mandat en même temps que Donald Trump. Mais à l’inverse de ce dernier, c’est avec le sourire qu’il conclut sa mission américaine. De cyclones en incendies, de New York à Los Angeles, de Trump à Biden, le journaliste a partagé le bilan de sa mandature avec TéléSphère.
Cédric vous l’avez annoncé sur Twitter à l’issue du discours de Joe Biden, nouveau président des États-Unis, votre mission de 4 ans aux « states » pour BFMTV est terminée. Quel est votre état d’esprit sur cette fin de mandat et cette conjonction avec la liesse sur l’élection de Joe Biden ?
J’ai le sentiment d’une mission accomplie pour BFMTV et qu’en même temps, une page se tourne pour la vie politique américaine. Donc c’est un peu comme le calme après la tempête pour moi ! Mais je ne ressens pas de liesse dans le pays, seulement un soulagement pour la moitié du pays qui ne supportait pas Donald Trump et espère que c’est la fin de l’agressivité, des mensonges et des insultes quotidiens à la Maison Blanche. Et l’autre moitié est forcément déçue et d’autant plus frustrée que Donald Trump tente de faire croire qu’il est victime de fraudes. Pour autant, il ne faut pas croire que les États-Unis en ont fini avec le trumpisme. Donald Trump n’est pas le problème du pays, c’est la division profonde du pays qui est le problème. Et Donald Trump a senti mieux que les autres, quand il s’est présenté en 2015, qu’il fallait y apporter une réponse. Pour répondre à votre question sur mon état d’esprit, je suis triste de quitter les États-Unis et content de rentrer en France.
N’auriez vous pas postulé pour un autre mandat, sous l’ère Biden ?
Le contrat de départ avec BFMTV était de partir 2 ans, renouvelables une fois. J’ai donc eu de la chance d’en profiter 4 ans et de suivre un mandat complet de président américain. Bien sûr que ça va être intéressant de voir comment Joe Biden se débrouille, comment il gère l’après-Trump, s’il réussit à faire mieux. Dans ses premières prises de paroles déjà, le style Biden est certes moins spectaculaire mais son vocabulaire est plus précis, plus nuancé, on comprend mieux ce qu’il veut faire. Alors que Donald Trump enchaînait les coups de théâtre et les attaques personnelles sans qu’on sache s’il savait vraiment où il allait, il entretenait des rebondissements permanents, il poursuivait son rôle de télé-réalité comme dans The Apprentice en étant devenu président.
« J’ai su au bout d’un an ou deux que je ne serais jamais Américain »
Je me suis posé la question de rester aux États-Unis d’une façon ou d’une autre. Mais j’ai su au bout d’un an ou deux que je ne serais jamais Américain même si j’adore ce pays. Nos centres d’intérêt sont trop différents parce que nos sociétés sont différentes. L’Américain est obsédé par l’argent parce que sans argent, il peut mourir, faute d’avoir les moyens de se soigner. En France, même s’il y a de la pauvreté, on a une couverture santé, chômage et retraite qui nous permet de nous inquiéter un peu moins de l’avenir et de profiter davantage de la vie. C’est ce qui nous vaut cette image de jouisseurs auprès des Américains. La vie aux États-Unis est bien plus stressante mais c’est ce qui rend les Américains si dynamiques, ambitieux, optimistes. Il faudrait inventer un pays qui cumule le meilleur de ces deux mondes ! Mais tant qu’on aura en France cette gastronomie avec ses produits de qualité si peu chers par rapport aux États-Unis, cette richesse architecturale, cette diversité de paysages dans un pays finalement assez petit, je reviendrai en France !
Depuis 2016, vous avez vécu un paquet d’aventures, notamment le cyclone Harvey en 2017, lesquelles vous ont le plus marqué et pourquoi ?
J’ai couvert 7 ouragans en 4 ans et plusieurs incendies majeurs dans l’ouest, c’est évidemment ce qui m’a le plus marqué parce que ce sont des missions où la vie est en jeu, la mienne et celle des habitants que je vais rencontrer. Quand j’étais jeune reporter en France, les inondations étaient déjà les missions que je préférais parce que c’est un moment où les gens ne trichent pas, ils sont eux-mêmes, on assiste à des moments d’entraide et de générosité rares. En même temps, je ne suis jamais parti en courant sur ces ouragans et ces incendies, il y a toujours une appréhension, surtout que je partais seul et que j’étais juste avec ma voiture, dans laquelle je devais dormir la plupart du temps, parce que j’arrivais dans des zones évacuées où il n’y avait plus d’hôtels, de restaurants, de commerces ouverts, ni de stations-essence. A tout moment je me disais que ma vie pouvait basculer. Je me souviens d’une fois, après l’ouragan Harvey en 2017, où le niveau de l’eau est monté et je me suis retrouvé encerclé sur la route. Il a fallu rouler dans l’eau en suivant de gros pick-up qui ouvraient la route en poussant une vague devant. Si on s’arrêtait, mon moteur se noyait et j’étais bon pour attendre les secours sur le toit de la voiture.
Il y a aussi eu l’ouragan Michael en 2018, en catégorie 5, le maximum. Je suis resté enfermé pendant 3h dans un hôtel qui servait de refuge. Le vent soufflait si fort, avec des rafales à 260 km/h, que nos oreilles se bouchaient à cause de la pression. Dehors, tout a été ravagé, les voitures déplacées par le vent, il a fallu évacuer l’hôtel qui menaçait de s’effondrer et la nuit suivante, j’ai dormi dans la voiture à la carrosserie ravagée, une vitre cassée, sur le parking de l’hôtel, en mangeant des barres de céréales.
Là j’ai vu le sheriff apporter une arme à la jeune fille de l’accueil de l’hôtel, pour qu’elle puisse défendre le bâtiment parce que la police était débordée dans une région dévastée, il y avait des risques de pillage. J’ai compris ce jour-là que les armes pouvaient vraiment être utiles dans ce pays.
2016 – 2020 en images
En quatre ans vous avez sillonné les États-Unis d’est en ouest, qu’est ce qui vous a le plus frappé sur ce pays ? Quels ont été vos coups de cœur ?
New York reste ma ville préférée, même si le New York que j’ai connu est mort avec l’épidémie. Mais je suis sûr que la ville renaîtra rapidement. J’ai appris à apprécier Los Angeles, une ville difficile à comprendre, très étendue, 80 km du nord au sud, mais j’adore la plage de Venice beach, la côte californienne, il y a une grande douceur de vivre, les gens sont cool. Mais plus que les villes, souvent banales et sans histoire comparées aux villes françaises, c’est la nature que j’ai adorée. Quand vous êtes dans Monument valley, avec ces étendues de terre rouge, les cheminées de pierres, vous êtes dans Lucky Luke. Traverser le parc de Yellowstone, c’est être sur une autre planète, il peut faire 40 degrés à l’entrée, quelques dizaines de kilomètres plus loin vous vous prenez une averse de neige, ensuite vous vous arrêtez pour laisser passer des bisons sur la route, vous pouvez voir des ours, des bassins d’eau turquoise bouillonnante et fumante, des geysers, des arbres géants. J’ai traversé la vallée de la mort en Ford Mustang cabriolet par plus de 45 degrés, il n’y a plus de couverture téléphone, vous ne croisez personne, sans eau vous mourrez en quelques heures, vous comprenez pourquoi ça s’appelle la vallée de la mort, ce n’est pas le moment de faire un malaise. C’est l’un des rares endroits sur la planète, dans un pays civilisé, où justement la civilisation disparaît. C’est vous seul face à la nature sauvage.
Coup de cœur aussi pour le Maine, dans le nord-est, pour la côte de la nouvelle Angleterre avec ses jolies maisons aux jardins soignés, dans le parc d’Acadia notamment.
« Je suis sûr que ni les électeurs de Donald Trump, ni ses opposants, n’ont bien vécu ces 4 années de tension »
Vous avez été un témoin privilégié de la mutation de la société américaine, ou de son délitement sous la présidence de Donald Trump. Comment l’avez vous ressenti ou vécu au quotidien au fil des ans ? Joe Biden et Kamala Harris vont ils pouvoir réconcilier les américains selon vous ?
Je ne crois pas qu’à partir du 20 janvier 2021, jour de l’investiture de Joe Biden, les problèmes de l’Amérique vont disparaître petit à petit. J’espère juste qu’en ne jetant pas de l’huile sur le feu comme son prédécesseur, le nouveau président apaisera le pays. De là à réconcilier les Américains, c’est une autre affaire. Il n’y a pas grand-chose de commun entre les Américains des villes des côtes est et ouest et ceux de l’Amérique rurale au centre. L’habitant de Washington, New York ou Los Angeles profite de la mondialisation, des échanges avec le reste du monde, il comprend le problème du réchauffement climatique et il est prêt à accepter de nouvelles contraintes dans son quotidien, de rouler en voiture électrique. Comme il est favorable au contrôle de l’accès aux armes à feu, inutiles en ville. L’habitant du Wyoming ou de l’Alabama n’a pas les mêmes connexions avec le reste du monde, il ne ressent pas la pollution là où il vit, il est confronté chaque jour à une nature hostile qu’un Français n’imagine même pas, que ce soit le climat extrême ou la faune sauvage. Comment voulez-vous qu’il accepte que Washington parle de limiter son accès aux armes ou de rouler en voiture électrique ? Et l’habitant de Washington ne comprend pas que son compatriote du middle west veuille continuer à vivre comme si rien n’avait changé. Pendant 4 ans, les Américains, et moi avec, avons vécu au rythme des tweets de Donald Trump et des scandales de sa présidence. Cela a instauré un climat d’incertitude permanente qui a stressé toute la société. Je suis sûr que ni les électeurs de Donald Trump, ni ses opposants, n’ont bien vécu ces 4 années de tension. Mais on s’y est habitué comme il va falloir s’habituer au retour d’une présidence a priori normale.
Vos prédécesseurs, Thierry Arnaud, Apolline de Malherbe ou encore Mathieu Coache, ont tous rejoint le service politique de BFMTV à leur retour de mission américaine. Comptez vous suivre la même destinée ? Quelles vont être vos prochaines aventures ?
Je reviens à BFMTV comme reporter attitré de la matinale. C’est un nouveau poste. Je serai chaque jour dans un lieu de France différent pour raconter l’une des principales actualités du jour. Je vais effectivement briser la tradition du parcours Etats-Unis-service politique ! Cela dit, on voit déjà arriver la présidentielle de 2022, je vais forcément couvrir aussi la politique, sous une forme ou une autre. Je me suis demandé ce que j’avais envie de faire en revenant à la rédaction, sachant que j’y étais rédacteur en chef adjoint de la matinale avant de partir aux Etats-Unis. Mais après 4 ans de grande autonomie sur le terrain, je ne m’imaginais pas revenir au même type de poste, à passer la journée au bureau. Donc le reportage est un poste qui me correspond parfaitement pour mon retour, je vais manger de la France à haute dose chaque semaine. Et quand on a vécu loin de son pays pendant 4 ans, je vous assure que ça ouvre l’appétit ! Marc-Olivier Fogiel (directeur général de BFMTV) et Céline Pigalle (directrice de la rédaction) avaient la même idée que moi. Je vais donc retrouver l’équipe de la matinale avec Christophe Delay et Adeline François. On va essayer de nouvelles écritures de reportage. Je suis très impatient de commencer !
Merci Cédric !
par Damien D., le 15 novembre 2020.