Julia Delage & Thomas Sotto : Haïti, un mois après le séisme

Le 12 janvier 2010 Haïti est frappé par un séisme de magnitude 7.0 sur l’échelle de richter qui a ravagé Port-au-Prince entre autre. Haïti souffrait déjà de nombreux maux avant cette catastrophe qui n’a fait que l’amplifier. Une tragédie couverte par les médias du monde entier.
De ces médias à Haïti, BFMTV en était, grâce à ses équipes de reporters sur place et une mobilisation de sa rédaction. Julia Delage, envoyée spéciale présente peu de temps après le séisme, et Thomas Sotto qui a assuré le plateau depuis Paris avant de se rendre là-bas lui aussi le 19 janvier, font le point un mois après.

Lorsque vous étiez en Haïti, quelle était votre organisation sur place et vos conditions de vie et de travail ? Des difficultés particulières ?

JULIA : Nous avons passé la première nuit aux côtés de la sécurité civile (avec laquelle nos sommes arrivés) près des ruines de l’hôtel Montana puis, lorsque la seconde équipe est arrivée, nous nous sommes installés dans les jardins de la résidence de l’ambassadeur de France. Pas de tente mais pas de problème de nourriture, la seconde équipe ayant fait le plein en république dominicaine. Les premiers jours, nous avons un peu rationné l’eau mais très vite nous avons pu échanger des bouteilles d’eau contre de la nourriture ou des petits services avec l’armée ou d’autres équipes. Les secouristes avaient aussi préparé des bidons d’eau « micropurée » mais on n’en a pas trop abusé… Pas de difficultés particulières, sauf peut-être celle du courant. Très peu de groupes électrogènes au début. Il fallait donc être très économe et très « sympa » avec les équipes de secours sur place pour qu’on puisse se brancher sur leur groupe de temps en temps… Nécessité aussi d’être très organisé pour recharger le matériel qui devait l’être en priorité.

THOMAS : L’idée, face à une telle situation, est vraiment de raisonner par priorités. Et la première, c’est d’être opérationnels le plus vite possible. Pour pouvoir raconter, témoigner… Notre confort personnel n’a absolument aucune importance. Et puis vous savez, quand on sent une réplique de séisme, que la terre se remet à trembler, on est finalement bien contents de dormir à la belle étoile… Et de se dire qu’aucun mur ne peut nous tomber dessus…

Entre Haïti et la rédaction à Paris, il y a bien plus que la séparation par l’atlantique à gérer. Comment s’opère la coordination entre ces deux mondes, entre l’équipe sur le terrain et la rédaction parisienne ?

JULIA : On avait beaucoup beaucoup de mal à joindre la rédac au début mais on était assez d’accord sur le fond. Rencontrer le plus possible les haïtiens pour rendre compte de leur situation. Ensuite, tous les matins et tous les soirs, on se mettait d’accord avec la deuxième équipe et puis on envoyait un mail (qui passait au bout d’un certain temps) à la rédac pour leur dire ce qu’on leur envoyait (par Bgan [ndlr : système d’envoi de poche par sat ou internet]) et ce qu’on allait faire. En tout, environ 3 sujets par équipe chaque jour. On profitait aussi des duplexs par prestataire pour faire le point.

THOMAS : La règle fondamentale, en Haïti comme ailleurs , c’est d’écouter le terrain. Les certitudes d’un présentateur, en studio, ne valent rien comparées aux yeux du reporter… Les premiers jours, sans téléphone, ont été un peu difficiles. Mais sur un évènement pareil, aussi considérable, on n’a pas besoin finalement de se parler pour préparer un duplex… Il y a tant de choses à dire, tant de questions ou simplement de regards à poser…

Chaînes de télés françaises, et internationales, les médias s’étaient donné rendez-vous à Haïti. Quelles étaient les relations et interactions entre ces équipes médias ? (entraide, concurrence)

JULIA : Pas de réelle concurrence entre les équipes sur ce genre de terrain mais j’avoue que l’on était tellement sur les routes la journée et en montage le soir que l’on n’avait pas vraiment le temps de faire le point avec nos collègues.

THOMAS : Ils étaient comme nous : touchés par ce qu’il vivaient, et exténués à la fin de chaque longue journée… Le décalage horaire (6 heures en moins), fait que lorsqu’on en a fini avec Paris, qu’on a fourni pour les éditions du jour, il faut attaquer les tournages pour la suite… C’est la 2ème journée qui commence… Et quand vient l’heure de dormir un peu à Port au Prince, les matinales ré-attaquent en France…

« Je crois que l’on reste dans le vrai lorsqu’on reste près des gens » (Julia)

Dans vos reportages et sujets diffusés, comment déterminez-vous la limite de ce qui est montrable ou non pour ne pas tomber ni dans le sensationnalisme, ni dans le voyeurisme tout en restituant l’information et l’ampleur de la catastrophe ?

JULIA : Je crois que la question se pose d’abord au tournage. Si toutes les images que l’on rapporte sont insoutenables, le reportage est inmontable. Il faut donc s’interroger en permanence sur la façon de filmer pour que l’on puisse faire passer l’information sans sensationnalisme. Ensuite, il ne faut pas se mentir non plus. Avec plus de 200 000 morts, Port-au-Prince était un champs de ruines à l’odeur souvent irrespirable. C’est aussi notre mission de le dire, pas pour faire du voyeurisme mais pour faire comprendre l’ampleur de la catastrophe.
Sur le choix des sujets, je crois que l’on reste dans le vrai lorsqu’on reste près des gens, lorsqu’on leur donne la parole sans surinterpréter les choses avec notre point de vue d’occidental.

THOMAS : Se contenter des faits. Sans chercher à en rajouter. Choisir les images qui ont du sens. Qui permettent de comprendre l’étendue du désastre sans chercher ni à épargner le téléspectateur, ni à le choquer gratuitement. Cela dit, au delà du débat sur ce qu’il faut montrer ou pas, c’est la 1ère fois depuis que je fais ce métier que je me dis que les images, si fortes soient-elles, n’arrivent à témoigner de l’ampleur de la désolation.

Sur le terrain, transmettre l’information vous rend aussi « spectateur » de nombreux drames, vous les filmez (ou pas). Quel est votre sentiment devant ces situations ? N’avez-vous pas eu envie de prendre part à l’action, poser la caméra pour aider ?

JULIA : Il est évident que l’on assiste souvent à des situations terribles. Mais j’avoue que, sur place, je me voyais mal m’apitoyer sur mon sort alors que tous les gens que nous croisions faisaient preuve d’une énergie, d’une force de vie incroyable qui leur faisait déplacer des montagnes ! Par ailleurs, je crois que la pire des choses serait de confondre mon rôle avec celui d’un secouriste, d’un chirurgien ou d’un humanitaire. Je ne suis ni médecin, ni chirurgien, ni humanitaire. Ce n’est pas pour cela qu’on m’a envoyée sur place. Il faut savoir rester à sa place. Moi, personnellement, je suis fière d’avoir pu, à mon petit niveau, faire prendre conscience aux quelques personnes qui ont pu m’apercevoir, de l’ampleur de la catastrophe. Moi, ce que je peux apporter à ces gens là, c’est qu’on parle d’eux, c’est qu’on dise que l’aide humanitaire n’arrive pas jusqu’à eux, c’est dire qu’ils manquent d’eau…
Ensuite, si l’on peut aider, on le fait mais ça ne sert à rien d’en parler. Ca, c’est ce qui se passe en dehors du tournage.

THOMAS : Entièrement d’accord avec Julia : respecter les haïtiens, c’est aussi savoir rester à notre place.

Cette catastrophe a aussi connu son lot de polémiques, mainmise réelle ou supposée des Etats-Unis dans le domaine organisationnel, et du fait de l’importante médiatisation, le traitement médiatique a été mis en cause (faire-valoir de certaines associations humanitaire plus que l’information, plus de journalistes que de secouristes pour d’autres…).
Comment vous positionnez-vous par rapport à ces polémiques, y êtes-vous sensibles ? N’entament-elles pas le crédit des journalistes ?

JULIA : Il est évident qu’un évènement de cette ampleur crée des polémiques. L’important, c’est d’être fier de son travail une fois rentré à Paris.

THOMAS : Ces polémiques de salon me rendent fou. Sur le terrain j’ai vu, moi, des gens dévoués. Quel que soit le drapeau qu’ils avaient dans la poche. La petite querelle, par exemple, sur la prédominance américaine m’a paru obscène. Oui, les américains ont mis la main et organisé la vie à l’aéroport. D’accord, les GI’s ne sont pas les types les plus ouverts d’esprit que l’on connaisse. Et alors ? Quant aux humanitaires, on les a accusés de traîner, de ne pas distribuer l’aide assez vite. Mais vous croyez qu’ils se tournaient les pouces ? Que tout cela était simple à organiser ? Après je ne suis pas naïf, il y a évidemment des intérêts en jeu… Rien n’est gratuit… Mais ce n’était, à mon sens, vraiment pas le moment pour ce genre de querelles.

« Ce sont des expériences de vie qui vous marquent »  (Thomas)

Julia et Thomas, vous n’en êtes pas à votre première expérience sur le terrain en situation « difficile », mais comment revenez-vous à la vie « normale » après avoir été témoins de scènes peu supportables ? Y a-t il une cellule psychologique à votre retour, vous accordez-vous un break ?

JULIA : On s’accorde un break, évidemment, ne serait-ce que pour récupérer physiquement. Ensuite, la rédaction nous a proposé de s’adresser à une cellule psychologique si on en ressentait le besoin. Le retour à la normale s’effectue peu à peu, grâce aux proches, aux amis. Il ne faut pas se focaliser sur cette mission.

THOMAS : il y a une différence entre « voir » des choses insoutenables. Et les « vivre ». Il est donc important de toujours relativiser. La vraie misère et le vrai traumatisme sont pour les haïtiens qui ont laissé leurs vies ou leurs familles sous les décombres. Alors oui, il y a quelques nuits difficiles au retour. Besoin de souffler aussi un peu. Et vite, comme le dit Julia, de passer à autre chose. Ce qui ne veut évidemment pas dire que l’on oublie. Ce sont des expériences de vie qui vous marquent.

Un mois après le séisme, les feux des médias se sont quelques peu éteints. « Une actualité chasse l’autre » dit-on, mais dans cette situation un suivi ne serait-il pas bienvenu afin de témoigner de la reconstruction et pour qu’Haiti ne retombe pas dans l’oubli… jusqu’à la prochaine catastrophe ?

JULIA : Mais j’espère bien pouvoir retourner en Haïti pour voir comment la situation évolue !

THOMAS : Ce serait l’honneur de notre profession de continuer à parler régulièrement de la situation là bas. Dans un an, ils n’auront peut être pas fini de tout déblayer… Alors pour ce qui est de la reconstruction…

Dans la même veine, dans le monde il se passe bien des choses atroces dont on ne parle que trop peu. Une focalisation médiatique comme il fut fait à Haïti, ne déséquilibre-t elle pas la balance ? Faut-il attendre vraiment LE cataclysme majeur (séisme, cyclone…) pour que les médias braquent leurs projecteurs sur tel ou tel lieu ?

JULIA : C’est un reproche constant envers les médias mais on ne peut pas être partout tout le temps. Couvrir un évènement historique tel que ce tremblement de terre était indispensable. Ensuite, on essaie dans la mesure du possible de suivre les situations critiques dans le monde, sans pouvoir tout faire, hélas.

Quelle image et quel mot garderez-vous d’Haïti en mémoire ?

JULIA : Une image : Une femme qui allait partir de l’hôpital général de Port-au-Prince après son opération a été interceptée par une équipe de Handicap International qui lui a remis une paire de béquilles… Elle arrivait à peine à s’en servir mais après quelques minutes, elle a tenu à repartir, pieds nus, dans les rues de la capitale. La voir disparaître dans la foule en boitillant m’a bouleversée…
Un mot (Plutôt une phrase): « Ca va ! Grâce à Dieu ! » C’est ce que nous disait tous les matins Lesly, l’un de nos guides. Sa maison s’était écroulée. Il n’avait plus rien. Mais comme la plupart des gens que nous avons rencontrés, il se battait pour reconstruire sa vie.

THOMAS : Le choc entre une odeur, celle de la mort, tellement présente, et la foi qui aide ces gens à tenir debout et à garder la tête haute. Les mots, ce sont ceux d’un haïtien, qui est intervenu pendant l’édition spéciale :  » Avec ce tremblement de terre, m’a-t il dit, c’est la 1ère fois que le mot solidarité a un sens entre haïtiens ». Et son visage s’est illuminé d’un sourire.

 

Un grand merci Julia et Thomas pour vos témoignages !

 

par Damien D., avec les contributions de Nadia, Fred et Pascal.

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