Assises du Journalisme et service public vus par William Irigoyen

William Irigoyen revient des 2ème Assises du Journalisme qui ce sont déroulées du 21 au 23 mai 2008 à Lille.

Que représente ce rendez-vous pour vous ? Et après y avoir assisté qu’en retirez-vous ?

Je venais pour la première fois aux Assises du journalisme à Lille … C’était l’occasion pour moi de réfléchir collectivement à l’avenir d’une profession menacée … menacée la presse écrite aux mains de groupes financiers de plus en plus interventionnistes en matière éditoriale … menacée une agence comme l’AFP par les déclarations de la garde élyséenne qui souhaiterait imposer aux journalistes de relayer ses communiqués … menacée la télévision de service public à qui l’on supprime la publicité en refusant d’augmenter la redevance … et on pourrait trouver d’autres exemples …

Après avoir participé à un débat sur l’information à la télévision de service public, je dois dire ma déception … j’ai eu l’impression qu’aucun débat n’avait vraiment lieu … je veux dire aucun débat sur ce que doit être cette information … doit-elle être à la traîne de celle de TF1 ? Doit-on faire du suivisme en matière de faits divers ? Quelle place pour l’actualité étrangère ? Comment expliquer l’Europe ? Quel ton ? etc, etc … J’ai eu l’impression d’assister à une séance d’autosatisfaction … dommage que tout cela n’ait pas été abordé … je regrette enfin qu’en guise de public il y ait eu beaucoup de journalistes … il me semblait que des Assises étaient davantage un rendez-vous avec des citoyens …

Ces assises sont en elles-mêmes assez récentes, et avec des thèmes de discussions comme « Sarkozy et nous », « A quoi sert un journalisme », on peut se demander s’il n’y a pas un malaise dans le métier… Quelle est votre opinion la-dessus ? Ce rendez-vous, est-ce utile en soit, manquait-il vraiment ?

Ce rendez-vous doit perdurer … il est nécessaire … oui, il manquait …Je pense que le pouvoir a toujours cherché à instrumentaliser la presse … à l’inverse, je pense que des journalistes aiment se sentir proches du pouvoir … On n’a cessé de me rappeler que la presse était un contre-pouvoir, qu’elle était aussi un « penser contre soi » … rappelons-nous de Daniel Pearl qui a payé de sa vie le fait d’être allé au Pakistan pour tenter de comprendre des extrémistes musulmans, un groupe dont les idées, le combat étaient aux antipodes de ses convictions … penser contre soi, je retiens cette formule … casser les préjugés, expliquer, donner des clefs aux gens qui nous regardent … c’est d’ailleurs en ce sens que le service public se distingue à mes yeux de la télévision privée : on y donne des clefs … on ne devrait jamais prendre les téléspectateurs pour plus bêtes qu’ils ne sont … on ne devrait jamais dire, comme je l’ai entendu – avec des variantes : « la boulangère de Tulle è va rien comprendre à ton papier » …

Un des thèmes abordés lors de ces Assises, fut le service public des médias. Quelle en est votre vision ?

Je suis un produit du service public … je veux dire que je baigne dedans depuis que j’ai commencé à travailler en 1994 … j’ai rencontré des gens formidables qui m’ont enseigné les bases de ce métier avec, toujours, cette notion de « se mettre au service de ceux qui nous regardent » … le problème c’est que certains de mes « enseignants » ont été les premiers à bafouer ces valeurs … pourquoi des gens comme Bernard Langlois, dont le fameux lancement sur les morts concomitantes de Béchir Gemayel et de Grace Kelly en 1982 – j’en avais déjà parlé lors d’une précédente interview – est pour moi un modèle, sont-ils vus aujourd’hui comme les dignes représentants de service public ? Parce qu’ils alliaient l’audace, l’indépendance d’esprit, la rigueur, et l’extraordinaire écriture … ce qui fait la qualité du service public …

Justement à propos de service public, les projets présidentiels pour FranceTélévisions « sans pub » et avec plus de culture, font couler beaucoup d’encre. Dans un article de Télérama, Jérôme Clément, vice-président d’Arte, ne révèle aucune inquiétude pour Arte. Comment percevez-vous les nouvelles orientations souhaitées pour FranceTélévisions ? Pensez-vous que le public lui s’y retrouvera et ne fuira pas plus vers les médias moins « culturels » ?

Je suis ravi d’entendre que des gens comme Nicolas Demorand dont j’ai toujours apprécié le travail se lance dans cette aventure … j’espère que, dans son émission, on parlera davantage de contenu que des auteurs dont je me fiche de savoir s’ils écrivent à l’ordinateur ou avec un stylo-plume … je crois que la parole des intellectuels est importante et que, justement, elle n’est pas assez relayée par le service public … celui-ci doit, à mon humble avis, réinvestir des lieux de réflexion afin de donner la parole à des gens dont le métier est précisément d’analyser, de comprendre un monde devenu de plus en plus difficile à décrypter …

Nicolas Demorand fait partie de ces journalistes exigeants mais accessible … grâce à lui, je pense que la culture peut devenir l’élitisme pour tous … je lui adresse les cinq lettres de Cambronne …

Pas de conséquences pour ARTE ? il est certainement trop tôt pour le dire … mais si d’autres chaînes décident d’avancer leur prime-time, cela ne devrait-il pas avoir de conséquences sur la grille des programmes de l’Association Relative à la Télévision Européenne ?

Merci William pour ces intéressantes réflexions

 

par Damien D.

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